par André Bellon
Un vent d’Ancien régime souffle sur la France avec ses courtisans, ses
favoris, ses privilèges, son arbitraire. La situation oscille entre un
pouvoir ultra autoritaire et la cour du roi Pétaud.
Un peuple désorienté se sent de moins en moins en République, de
moins en moins en démocratie. Car il y a un peuple, car il y a une
aspiration républicaine. La grande manifestation après le massacre de
Charlie hebdo en fut une projection. Les rassemblements spontanés dans
toute la France, et symboliquement sur les Champs Elysées, à
l’occasion de la victoire à la coupe du monde de football en furent une
autre de même que les déclarations des joueurs affirmant leur
attachement à la France et à la République. On peut évidemment
gloser sur le côté « populiste » de tels gestes. Mais laisse-t-on
aux citoyens d’autres voies pour affirmer leur existence, leur
fraternité, leurs aspirations ?
Les citoyens sont de plus en plus coincés entre un pouvoir central qui
ignore leurs droits et des communautaristes qui veulent les renvoyer à
des identités parcellaires. Nous avions déjà évoqué, il y a
quelques lois, le cas de Rokaya Diallo qui dénonce avec permanence un
supposé « racisme d’Etat » à la française. Apparemment appréciée
par la presse américaine, elle vient de se répandre dans les colonnes
du Washington Post pour y stigmatiser une fois de plus la France. Se
sentir plus à l’aise aux Etats-Unis n’est pas nouveau ; fustiger une
histoire de France en se référant à celle des Américains est pour le
moins étrange. Faut-il par exemple rappeler que ceux-ci n’acceptèrent
de livrer du matériel à la 2ème DB de Leclerc qu’à la condition
qu’il n’y aurait plus de combattants noirs dans ses rangs ? Faut-il
rappeler que les Noirs américains n’obtinrent la citoyenneté qu’en
1964 ?
Toute l’Histoire de la République est un combat permanant pour la
citoyenneté, l’égalité au-delà de toutes les différences, pour les
principes énoncés par la Déclaration des Droits de l’Homme et du
Citoyen. Il est quand même significatif de voir les déferlements
racistes dans d’autres pays européens après la victoire de la France,
comme si le mélange particulier dans cette équipe était inadmissible,
impensable, condamnable. Mais non, les communautaristes n’en ont cure :
le modèle français est, à leurs yeux, par essence diabolique.
Qu’il y ait en France des racistes est évident, mais la République
n’est pas raciste.
Le retour des argumentaires ethniques est la conséquence de politiques
qui tournent le dos à un contrat social humaniste et social, qui
s’éloignent de plus en plus des principes qui sont à la base de nos
institutions républicaines. Tant de groupes ensuite manipulent cette
situation pour faire avancer leurs intérêts particuliers sans
réfléchir à l’intérêt général. Et l’autoritarisme du pouvoir fait
son miel de ces divisons artificielles.
Nous vivons une étrange démission. La volonté d’affaiblir l’Etat, de
relativiser la volonté humaine, s’étend de plus en plus et les
dernières palinodies autour du gouvernement et de la Présidence
réduisent l’intérêt général à la dimension de la peau de chagrin.
Faut-il s’étonner alors de voir chaque groupe, chaque communauté,
revendiquer sa part ? L’explosion n’est pas inévitable, mais il faut,
dès aujourd’hui, un véritable sursaut républicain au-delà des
différences. Appeler à l’élection d’une Assemblée constituante est
le symbole démocratique et pacifique qui pourra rassembler les
volontés aujourd’hui parcellisées.
André Bellon – Ancien Président de la Commission des affaires étrangères de
l’Assemblée nationale – Auteur de « Ceci n’est pas une dictature »