Le traité transatlantique « n’est pas un accord commercial anodin, c’est un élargissement en soi », estiment Françoise Castex, députée européenne (Nouvelle Donne) et Susan George, présidente d’honneur d’Attac, cofondatrice de Nouvelle Donne.
Le Partenariat transatlantique de commerce et d’investissement (TTIP ou Tafta) sera l’un des enjeux majeurs des prochaines élections européennes. En effet, c’est au prochain Parlement européen qu’il reviendra de ratifier – ou non – l’accord de libre-échange en cours de négociation entre l’Union européenne et les États-Unis. Les citoyens doivent profiter de la campagne des européennes pour s’emparer de ce débat et exprimer clairement leur position sur cet accord soutenu par les sociaux-démocrates et les conservateurs européens, au premier rang desquels le PS et l’UMP.
Et pour cause: le Tafta est nettement plus ambitieux qu’un simple accord commercial visant à abaisser les tarifs douaniers. D’une part parce que les tarifs douaniers entre l’UE et les USA sont déjà dans la plupart des secteurs extrêmement bas. D’autre part parce que l’objectif est avant tout de supprimer les obstacles non-tarifaires, en harmonisant les normes et les réglementations de chaque côté de l’Atlantique.
L’accord risque ainsi de remettre en cause les normes sanitaires et phytosanitaires européennes, que les industriels agroalimentaires américains jugent trop contraignantes et coûteuses (interdiction en Europe du bœuf aux hormones et des poulets chlorés, OGM). Idem pour la production du vin qui, outre-Atlantique, répond à des critères de qualité bien moins exigeants qu’en Europe. Adieu principe de précaution et agriculture durable.
De même, comment ne pas voir dans le TTIP le prolongement des tentatives répétées des Américains d’accéder aux données personnelles des Européens, estimées à 315 milliards d’euros, et de contourner la “ trop protectrice ” réglementation européenne sur les données personnelles qui vient d’être adoptée par la Parlement européen. Ce n’est pas par hasard qu’Amazon, Google, Facebook, Apple, Microsoft et autres empires «dataphages» poussent à la conclusion de cet accord de libre-échange. Le scandale de la NSA a montré combien les approches de la protection de la vie privée divergent des deux côtés de l’Atlantique.
La méthode proposée pour élaborer ces normes communes UE/USA est, en outre, très contestable. Sous le prétexte que l’UE est dotée d’un système législatif et réglementaire complexe, l’accord Tafta pourrait lui substituer la coopération d’experts en lieu et place du Parlement et du Conseil. En réalité, nos partenaires américains estiment que la législation européenne laisse trop de place à la subjectivité de l’opinion publique, aux attentes des citoyens, au détriment de l’expertise scientifique. Tout aussi contestable, la proposition de tribunaux privés d’arbitrage permettant à toute entreprise ou investisseur américain de porter plainte contre un État européen dont une mesure pourrait porter atteinte à ses profits, présents ou à venir.
Au-delà des contenus, c’est le principe même de cet accord qui pose problème. Dire oui aux négociations sur le TTIP, c’est prendre le risque que les normes américaines puissent prendre le dessus sur les normes UE et hypothéquer l’achèvement d’un marché intérieur européen protecteur pour ses citoyens et ses entreprises.
N’en déplaise aux socialistes français, le TTIP est une entorse, et non des moindres, au principe de juste échange Nord-Sud qu’ils soutiennent. Avec cet accord, Américains et Européens cherchent à imposer dans la mondialisation un géant économique qui représenterait 40% du commerce mondial. Si les Américains concluent en parallèle l’accord qu’ils négocient avec la zone Asie-Pacifique, ils se retrouveront au centre, géographique et surtout normatif, de 70% du commerce mondial. Avec quels effets sur le reste du monde?
Ne soyons pas dupes des arguments utilisés par les artisans du TTIP, à commencer par la création d’un million d’emplois en Europe que l’on nous fait miroiter régulièrement. Il s’agit là de l’estimation la plus optimiste d’un think-tank londonien ultralibéral, et valable essentiellement pour l’Allemagne et le Royaume Uni (400.000 emplois chacun) et à l’horizon 2030. Entre-temps, combien d’emplois perdus dans les filières qui se trouveront soumises à rude concurrence (agriculture, hautes technologies, automobile…) ? Les syndicats européens sont plus que circonspects. Ils ont raison de l’être, quand on sait que les États-Unis n’ont signé que deux des huit conventions de l’Organisation internationale du travail!
Il y a bientôt en vingt ans, François Mitterrand l’Européen mettait en garde les futurs négociateurs de l’UE qui «commettraient […] une erreur si, par impatience ou lassitude, ils laissaient les élargissements se faire dans des conditions qui affaibliraient la cohésion et les disciplines de l’Union». Le TTIP n’est pas un accord commercial anodin, c’est un élargissement en soi, une fuite en avant libérale qui risque de remettre aux calendes grecques l’approfondissement politique de l’UE et de sacraliser de façon irréversible la toute-puissance du marché sur le sol européen.
26 MARS 2014 | PAR LES INVITÉS DE MEDIAPART