Crise de la politique, Front de gauche et élections européennes : et maintenant ?
Lundi, 19 Mai, 2014
Par Eric Alt, magistrat, candidat aux élections européennes (Nouvelle Donne)

Dans les années 1980, l’Union européenne prenait des directives pour améliorer la santé et la sécurité au travail. Le droit européen a aussi permis des avancées en matière de lutte contre les discriminations. Et sous l’impulsion de Jacques Delors, un protocole annexe au traité de Maastricht donnait à l’Union une compétence en matière sociale. Mais l’histoire récente est celle d’une régression importante. C’est la conséquence d’une appréciation extensive du droit de libre circulation et restrictive du droit des salariés.

Ainsi, dans l’affaire Viking : une entreprise finlandaise place un de ses navires qui assurait la traversée Helsinki-Talin sous pavillon estonien afin de réduire le salaire des marins. La Fédération internationale du transport appelle au boycott de la compagnie dans les ports européens. Mais pour la Cour de Luxembourg, le droit de libre circulation des travailleurs prime l’action collective, qui est jugée illicite.

De même, dans l’affaire Laval : une entreprise de construction lettonne passe contrat avec une entreprise suédoise pour construire une école. Elle emploie des salariés lettons payés au tarif de leur pays d’origine. Les syndicats suédois engagent une grève sur le thème : “A travail égal, salaire égal”. Mais pour la Cour, la directive sur le détachement de travailleurs ne permet pas de faire grève pour que ces travailleurs bénéficient du droit suédois plus favorable.

Enfin, dans l’affaire Rüffert : une entreprise allemande est adjudicataire d’un marché public. Elle sous-traite des services à une entreprise établie en Pologne, payés au tarif polonais. Mais pour la Cour, l’entreprise polonaise n’était donc pas tenue de rémunérer ses salariés au niveau prévu par le contrat allemand.

Certes, en avril dernier,  le Parlement a amendé la directive sur le détachement des travailleurs, mais seulement à la marge.

Plus généralement, les textes européens de libéralisation économique sont renforcés par une jurisprudence constante.

Ainsi, il a été jugé que la loi allemande dite “Volkswagen”, qui protégeait les constructeurs automobiles contre les acquisitions hostiles, n’était pas conforme au droit communautaire : elle constituait une restriction aux mouvements de capitaux.

Il a été jugé que les sociétés doivent pouvoir appliquer le droit du pays où elles sont domiciliées, qui peut être moins contraignant que celui du pays où elles ont une activité économique réelle.

Plus encore la «Troïka» a outrepassé ses compétences en imposant à la Grèce de baisser considérablement son salaire minimum. En particulier, elle a imposé de fait un salaire minimum inférieur au seuil de pauvreté pour les moins de 25 ans.

Une juridiction nationale a bien demandé à la Cour de Luxembourg si la réduction des salaires imposée en vue de l’assainissement des finances publiques était  contraire à la Charte des droits fondamentaux. Mais la Cour s’est déclarée incompétente au motif que le niveau des rémunération n’entre pas dans le champ  du droit européen.

Ainsi, l’Europe se rapproche du projet constitutionnel d’un des pères du libéralisme contemporain, Friedrich Hayek : la démocratie limitée , qui doit prévenir toute prééminence de la politique sur l’économique.  Cette démocratie laisse place à un  darwinisme normatif, à la mise en concurrence des droits sociaux des pays membres et au démantèlement des acquis.

Pourtant cette voie n’était pas la seule possible. Dans le cadre du Conseil de l’Europe, le Comité de la Charte des droits sociaux n’a qu’une autorité morale. Mais il a montré, par deux décisions de mai 2012 concernant la Grèce, la possibilité d’une approche juridique différente. En particulier, il a consacré le principe de non régression, interdisant à un Etat de diminuer le standard de protection qu’il a atteint.

De même, la Confédération des syndicats européens a proposé un « protocole de progrès social » : rien dans le droit européen ne devrait primer les droits sociaux fondamentaux et le progrès social. Le Parlement européen a aussi voté une résolution en ce sens.

En d’autres temps, face à la crise, le président Roosevelt avait défini un New Deal, en décidant notamment une politique de grands travaux, l’établissement d’ un salaire minimum, une baisse du temps de travail et le renforcement des droits sociaux. Aujourd’hui, l’Europe aurait aussi besoin d’une Nouvelle Donne, qui pourrait prendre la forme d’un Traité de convergence sociale, garantissant notamment les acquis sociaux fondamentaux des pays de l’Union et interdisant le dumping social.

– See more at: http://www.humanite.fr/pour-une-nouvelle-donne-sociale-en-europe-531744#sthash.JoC6mavd.dpuf