Précarisation accrue des salariés, concurrence déloyale envers les PME…
Pourquoi Nouvelle Donne s’oppose à la loi El Khomri
L’argument a été maintes fois rebattu : les entreprises auraient des difficultés pour embaucher à cause de la lourdeur du droit du travail. Les gouvernements successifs n’ont donc de cesse de “flexibiliser” le marché du travail pour répondre au chômage.
Déjà en 1986, Monsieur Gattaz père réussissait à convaincre le gouvernement de supprimer l’autorisation administrative de licenciement et promettait un effet bénéfique immédiat sur la courbe du chômage : libérés de cette contrainte, les employeurs n’hésiteraient plus à employer. Nous en avons constaté l’effet…
Aujourd’hui, Monsieur Gattaz fils est parvenu à convaincre le gouvernement qu’un allégement du code du travail et le renvoi à la négociation de branche ou d’entreprise pour fixer les rapports salariés/employeurs lèveraient définitivement « la peur de l’embauche » et seraient de nature à relancer l’emploi.
Myriam El Khomri tente de nous rassurer : « il n’y a aucun recul des droits des salariés. »
Pour Nouvelle Donne, la réforme du droit du travail lancée par le gouvernement n’aura au contraire qu’une seule conséquence : accentuer la pression sur les salariés et sur les PME.
Et aucun impact positif sur l’emploi.
Le Code du travail actuel est-il responsable de la complexité du droit du travail ?
- Le Code du travail est un bouc émissaire un peu facile. Le problème majeur que rencontre notre droit du travail aujourd’hui résiderait plutôt dans l’inflation des textes et de mesures dérogatoires qui se superposent sans grande cohérence depuis 30 ans.
- Le droit du travail est un droit vivant et n’a pas vocation à être simple. La jurisprudence de la Cour de cassation est abondante et les normes et les sources du droit social nombreuses. Ce n’est pas le Code du travail qui rend le droit du travail complexe mais l’empilement des textes. Multiplier les interlocuteurs et les niveaux de négociation (accords de branche, d’entreprise) ne fera que complexifier les choses.
- Ne nous leurrons pas, la réforme annoncée ne mènera pas à une simplification du droit du travail, mais uniquement à une dérégulation du marché du travail. Si le Code du travail existe, c’est qu’il y a un rapport déséquilibré entre l’employeur et le salarié. Le Code du travail est là uniquement pour rétablir l’équité dans cette relation inégalitaire par nature.
Pourquoi nous nous opposons à ce projet de réforme
du droit du travail ?
Cette réforme constitue la plus importante remise en cause de la tendance séculaire de réduction du temps de travail.
- Ce projet de loi sonne le glas des 35 H de la manière la plus violente qui soit. Après le « travailler plus, pour gagner plus » de Nicolas Sarkozy, la loi El Khomri offre très clairement aux salariés la perspective de « travailler plus, pour gagner moins ».
- L’extension du dispositif « forfaits-jours » qui permet de ne plus décompter les heures de travail, la possibilité de rémunérer cinq fois moins les heures supplémentaires, de fixer la durée quotidienne du travail de 10 à 12 H, de passer la durée hebdomadaire maximale du travail de 44 H à 46 H par semaine, par simple accord d’entreprise, voilà ici quelques exemples des outils qui seront à la disposition des entreprises. Ces dispositions auront une conséquence implacable : l’augmentation du temps de travail pour ceux qui ont déjà un emploi et l’éloignement de la perspective d’en retrouver un pour ceux qui l’ont perdu.
- On ne peut que s’étonner du fait que la loi exclue de mettre en place des dispositifs simples permettant de garder les salariés tout en baissant leur temps de travail quand ça va mal pour l’entreprise. Cette volonté de refuser de s’inspirer des exemples canadiens ou allemands prévoyant une diminution offensive du temps de travail marque clairement la volonté d’accroître la pression sur les salariés : « si ce que l’on te propose ne convient pas, des dizaines de personnes frappent à la porte pour prendre ta place ».
Elle assouplit singulièrement les règles de licenciement et limite le pouvoir du juge en matière de sanction du licenciement abusif.
- Envisager le recours au licenciement économique pour « réorganisation de l’entreprise nécessaire à la sauvegarde de la compétitivité », voilà des termes bien flous qui nous promettent une jurisprudence foisonnante.
- Considérer que le refus d’un salarié de voir temporairement son temps de travail et son salaire réduit, sans aucune contrepartie serait constitutif d’une cause réelle et sérieuse de licenciement, cela revient à laisser à l’employer le droit de décider unilatéralement d’envoyer des familles entières dans la plus grande précarité. À moins que les établissements bancaires ou les bailleurs n’acceptent également la réduction de leurs dettes ?…
- Plafonner les indemnités prud’homales en cas de licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse ? Gageons que nombre d’employeurs ne manqueront pas d’utiliser le licenciement comme variable de gestion. Un risque maximal de quinze mois de salaires pour un salarié ayant plus de 20 ans d’ancienneté, la belle affaire ! Cela revient exactement à laisser à l’entreprise la possibilité de provisionner au centime prêt le coût de la violation du droit.
Elle conduit à une réduction considérable du droit des salariés.
- Le gouvernement se défend de toutes atteintes portées aux droits des travailleurs au motif que les dérogations seraient issues des négociations entre les employeurs et les syndicats. Or en France, le poids des syndicats est très affaibli. Le taux de syndicalisation a été divisé par 4 en 60 ans, à l’heure actuelle il n’est plus que de 8%. Contrairement à l’Allemagne, la culture de la négociation n’existe pas dans nos entreprises. Or, elle ne se décrète pas.
- Permettre qu’un référendum d’entreprise puisse valider un accord, même si les syndicats représentants 70 % des salariés de l’entreprise s’y opposent, est le signe d’un mépris affiché envers les organisations syndicales. Comment, dans ces conditions croire le gouvernement lorsqu’il prétend vouloir favoriser le dialogue social ?
- N’oublions pas, par ailleurs, que le lien de subordination n’est pas qu’une vue de l’esprit et que dans un contexte de chômage de masse et de mise en concurrence des travailleurs sur le marché de l’emploi, le rapport de force est particulièrement déséquilibré. Cela conduira inévitablement à un dumping social et complexifiera d’autant la situation du salarié qui, en changeant d’entreprise, changera aussi de droit qui lui est applicable.
Elle introduit une difficulté supplémentaire pour les petites entreprises.
- Les TPE/PME ne vivent pas, du fait de leur surface financière réduite, et d’une capacité de provisions de risque souvent limitée, le même risque à l’embauche que les grandes entreprises. Elles ne disposent que rarement d’opportunités de mobilité interne pour réajuster leur main d’œuvre sans avoir à licencier. Enfin, rares sont celles qui disposent des ressources juridiques en interne.
- En renvoyant aux accords d’entreprises pour déroger à la Loi, et donc à la négociation syndicale, alors même que la négociation avec un salarié mandaté par un syndicat extérieur à l’entreprise est souvent un point de blocage, il n’est pas du tout sûr que la négociation soit le plus court chemin pour aménager le droit.
- Non seulement la réforme crée les conditions d’une concurrence déloyale entre grandes entreprises et TPE/PME, alors que ce sont elles qui vivent le droit du travail de la manière la plus pénalisante, mais aussi fait-elle abstraction du gisement d’emplois que peuvent constituer les 3 millions de TPE/PME française. Ce n’est sans doute pas un hasard, si les dérogations concernant les TPE sont prévues par la Loi et non par la négociation en Allemagne.
Nouvelle Donne est favorable à une réforme du Droit du travail, à condition :
- que soient limités les dispositifs dérogatoires qui rendent la législation complexe et qui, loin d’avoir un impact positif sur la création d’emploi, ont par ailleurs un impact négatif sur les inégalités, la précarisation, le bien-être et les revenus des travailleurs.
- que le dialogue social et la représentation syndicale aient vraiment toute leur place dans l’entreprise, et que le gouvernement mette l’accent sur une véritable responsabilisation des acteurs sociaux. Jean Auroux a révolutionné le Droit du travail il y a 35 ans en étendant la citoyenneté à la sphère de l’entreprise et en considérant que le Droit du travail devait avant tout stimuler les initiatives individuelles et non les brider. Renier cette philosophie est inacceptable
- que le Droit du travail prévoie des dispositions quand les choses vont mal en entreprise en associant au volet «flexibilité », un véritable volet « sécurité ». A défaut ce ne sera pas plus d’emplois qui seront créés mais plus de chômage.
- que la législation du travail n’omette pas de prévoir également des dispositions quand les choses vont bien dans une entreprise. Il est d’ailleurs révélateur de constater à quel point le gouvernement a totalement omis cet aspect dans son projet de loi.
- que le recours à la négociation d’entreprise serve à une amélioration de la situation des salariés et des demandeurs d’emplois, et non à sa remise en cause.
- que le législateur contraigne les entreprises de l’économie collaborative à donner un véritable statut social aux personnes employées (contrat de travail,maladie, chômage, retraite etc…) et à participer loyalement à notre système social et fiscal.
- que le législateur tienne compte du fait que du grand groupe à l’entreprise familiale, tous les employeurs ne sont pas sur un pied d’égalité, et que les TPE/PME, principales sources de création d’emplois en France, méritent d’être soutenues.
- que la loi conserve une mention claire de la durée légale du temps de travail et préserve le taux de rémunération des heures supplémentaires afin d’inciter les employeurs à un meilleur partage du travail que celui consistant à laisser des milliers de demandeurs d’emplois à la porte des entreprises.
- que la législation du travail ré-ouvre enfin le champ de la réflexion relative à une véritable réduction du temps de travail tout au long de la vie.
La question de la réforme du droit du travail est une question de choix politique et de société. Souhaitons-nous continuer à déréguler le marché du travail, sans aucun effet positif sur l’emploi ou l’économie réelle, mais dans l’objectif évident maximiser les profits des grands groupes ?
Ou souhaitons-nous assurer la protection des droits fondamentaux, du vivre-ensemble et un projet de société adapté aux évolutions actuelles du monde du travail ?
Les militants de Nouvelle Donne ne se résolvent pas à accepter la réforme proposée par le gouvernement car elle constitue l’exact opposé de ce en quoi nous croyons et du pourquoi nous nous battons : une meilleure répartition du temps de travail et des richesses. Aussi, ils seront activement et par tous les moyens au côté des salariés, des demandeurs d’emploi, des mouvements syndicaux, des petites entreprises et de tous ceux et celles qui feront résistance face à ce projet.
Liens utiles:
Pétition “Loi Travail : non, merci !” :
http://loitravail.lol/
Synthèse du rapport Combrexelle sur la réforme du Code du travail :
http://www.gouvernement.fr/sites/default/files/contenu/piece-jointe/2015/09/synthese_combrexelle.pdf
La meilleure preuve que la loi travail est déséquilibrée, c’est que le MEDEF l’applaudit des deux mains !
Au coeur du droit du travail, il manque la loyauté. Il faudrait un article 1 du code du travail sur la loyauté et la sanction du mensonge.
La prétendue abondance des textes est parfois motivée par l’absence de sanctions du mensonge organisé. Tout employeur a le droit de mentir et de tricher pour autant qu’il évite de se trouver en contradiction avec un texte procédural. Si le mensonge en vue de nuire à un salarié était érigé en délit, s’il y avait une sorte de casier judiciaire des employeurs menteurs, il y aurait peut-être moins d’esquive, de faux semblants et plus de loyauté dans les rapports entre employeurs et salariés. Et le code du travail qui décrit des procédures à longueur de pages serait peut-être moins sinueux.
Ce texte de loi, comme bien d’autres, nous soulève le coeur car il est installé sur un mensonge énorme : le droit du travail serait néfaste pour l’entreprise alors qu’il ne l’est que pour les employeurs abusifs. Ainsi, tout bien considéré, si nous lisons le code du travail en imaginant qu’il s’adresse à des êtres pétris d’humanisme, nous verrions que c’est un très beau texte.
Le montant élevé des primes de licenciement (les supra-conventionnelles) est attribué, soit par négociation (lors de la mise en place d’un plan de licenciement assorti d’un PSE ou Plan de Sauvegarde de l’Emploi) soit par les juges. Ces montants sont élevés quand, d’une manière ou d’une autre, le licenciement est lié à des causes discutables au plan économique et qu’au détour d’un argumentaire “économique”, on licencie des personnes que l’on cible. Quand ce n’est pas le cas, l’employeur ne négocie pas ou les juges tranchent pour des montants plus faibles.
Plafonner les indemnités, cela ne protège pas les PME, cela protège les groupes qui licencient pour délocaliser, satisfaire les marchés financiers de plus en plus avides et pressés …). D’ailleurs, cela ne les protègerait pas (ils n’ont rien à craindre), cela s’ajouterait aux mesures d’optimisation fiscale encadrées par des textes qui l’autorisent (et dont on finit par se demander pourquoi l’application est bienveillante) et aux montages financiers qui permettent de sortir la valeur créée exonérée d’impôt. J’allais oublier, les galettes de l’allègement Fillon, du CICE et du CIR que chacun oublie lorsqu’il parle des charges sociales en France et qui sont à la charge du contribuable.
Ces allègements et cadeaux fiscaux liés à l’emploi (Fillon – CICE) n’ont pas encore rendu tout leur jus pour les groupes : pour optimiser et réduire le coût du travail en France, il faut embaucher en dessous de 1,6 fois le SMIC (effet Fillon) et 2,5 fois le SMIC (CICE : 3.750 € alors l’État fait un chèque de 6% du salaire brut). Éliminer les salariés qui disposent d’une rémunération au delà des plafonds fait gagner, non seulement l’écart au plafond, mais le chèque de l’État. Optimiser = faire marcher le turn over et embaucher moins cher. Aucun allègement social ni fiscal ne devrait être accordé à des sociétés qui contribuent à fabriquer du dividende au sein de la société mère du groupe.
L’insoutenable loi Valls-faux nez : Khomri ne doit pas passer.
La loi du gouvernement donnerait au patronat une gomme pour effacer page par page et en peu de temps ce que le mouvement ouvrier a écrit ligne par ligne pendant 100 ans. Militant CFTC depuis 42 ans je regrette que le président de la CFTC et son clan soutienne un projet de loi qui détruit l’œuvre de nos militants, trahit nos valeurs sociales chrétiennes et notre fonction syndicale. Le symbole de notre syndicat était l’engrenage du progrès social. Le projet du gouvernement c’est l’engrenage de la régression sociale. Il faudrait aujourd’hui un grand mouvement unitaire pour le progrès social, qui est la seule solution à la crise économique, sociale, politique et morale que connaissent la France et l’Europe alors que la régression sociale est la source de la crise. Le projet du gouvernement aggraverait encore la crise économique et le chômage. Pire encore, la démocratie suppose l’adhésion a un contrat social. Depuis 100 ans, celui-ci reposait sur la conviction que demain serait meilleur qu’aujourd’hui, que nos enfants vivraient mieux que nous. En détruisant cette utopie, en tuant cette espérance le gouvernement sape les bases de la démocratie. on voit bien que la régression sociale provoque des votes de rejet et de haine, comme cela fut le cas en Allemagne et en Italie dans les années 1930 pour le plus grand malheur de l’humanité.
Très bien ; merci pour cette analyse….
Arriverons nous un jour en France à remettre sur le tapis une réglementation manifestement obsolète car qui n’évolue pas avec la société,
– Pourquoi continue t-on à enseigner dans nos grandes écoles le culte de l’argent et de la personnalité et non celui de l’équité et de l’humanisme? combien d’écoles ont un département des humanités?
– Pourquoi le taux de syndicalisation en France n’est que de quelques % (de 5 à 8 selon les sources!!) n’est-ce pas ça le problème principal? le syndicalisme ne doit-il pas se poser la question et faire des propositions d’évolution de cette fonction aussi primordiale que l’avocat en pénale? et si on continue le parallèle pourquoi pas un statut du syndicaliste, neutre, indépendant, formé,…. toute entreprise devant avoir un nombre de syndicaliste (extérieur ou non) proportionnel à son effectif, rémunéré, avec comme cahier des charges : écouter, proposer, négocier, vérifier que le salarié est traité conformément aux règles, codes et obligations en vigueur et même avec le pouvoir de donner suite en justice s’il y a des manquements.
Peut-on rêver, être utopiste?
Puisque vous faites référence à l’Allemagne ,ne faudrait t’il pas exiger la représentation des membres du personnel au conseil d’administration des entreprises (comme en Allemagne) , ce qui assurerait aux salariés une information objective de la situation économique de l’entreprise au lieu de recevoir seulement une décision de la Direction ?
cette disposition est incluse dans la loi de sécurisation de l’emploi du 14 juin 2013. Un bilan à mi 2015 du ministère du travail laissait entendre que 2/3 des sociétés du CAC40 l’ont mise en oeuvre. Une fois qu’on a dit ça il me semble utile de rappeler que le lieu privilégié pour obtenir des informations sur la situation économique de l’entreprise est le comité d’entreprise : “Le comité d’entreprise a pour objet d’assurer une expression collective des salariés permettant la prise en compte permanente de leurs intérêts dans les décisions relatives à la gestion et à l’évolution économique et financière de l’entreprise, à l’organisation du travail, à la formation professionnelle et aux techniques de production.” (art L2323-1 du code du travail) . A cet effet, cette même loi du 14 juin 2013 prévoyait la mise à disposition des représentants du personnel de l’entreprise une base de données économiques et sociales (BDES) ou base de données unique (BDU). Par contre, le bilan du ministère du travail est beaucoup plus flou : “Il est difficile d’établir à ce stade un bilan détaillé de cette mesure, qui ne concerne encore que les grandes entreprises, et dont le déploiement est plus généralement conçu comme devant être progressif” (sic)… Bref, comme souvent en France on légifère beaucoup mais quant à la mise en oeuvre effective de ces lois, en particulier quand elles sont censées bénéficier aux salariés, c’est une autre paire de manches !